RH : La polyvalence est-elle une force ou une faiblesse ?

“La polyvalence, c’est une force. Ça rend le poste super intéressant”, clame Héloïse Lutton, consultante RH. Même son de cloche pour Laetitia Guyon, responsable recrutement dans le médical : “je pense que c’est une force la polyvalence. Le collaborateur peut avoir plein de questions différentes et même s’il n’a pas réponse à tout, c’est bien de savoir vers qui se tourner”.
Plus qu’une force, c’est une preuve que le métier s’est transformé à travers les années : “la fonction RH a évolué, c’est donc une force !” tonne Florence Patras, Responsable du Développement RH chez Saint-Gobain. “Aujourd'hui le recruteur n’est pas que recruteur. Quand on me demande ce que je fais, je ne dis pas “je fais du tri de CV”. C’est 5% de mon temps. Je mets en place des stratégies donc ça demande notamment d’être marketeur, communicant, un peu commercial aussi pour vendre ton entreprise”.
“L’avantage de la polyvalence, c’est que ça force à plus de pragmatisme”
Pour d’autres, il ne faut pas mettre tous les RH dans le même panier : “ça dépend du profil du RH concerné” tempère Geoffrey Fournier, DRH de Snow Group. “L’avantage de la polyvalence, c’est que ça force à plus de pragmatisme et donc à mieux se saisir du sujet, et ne pas être le RH de la fonction support”.
De son côté, Philippe Vivien, lui, est un peu plus incisif sur le sujet : “la polyvalence est d’autant plus acceptée et intéressante que si elle est liée à de la co-construction. Si c’est une polyvalence pour dire ‘Je suis capable de jouer 10 instruments à la fois, mais je ne maitrise rien, et que je n’ai pas eu mon mot à dire sur la partition à jouer…’ c’est suicidaire”.
Y’a-t-il une hiérarchie dans la polyvalence ?
Une fois le constat posé, il faut creuser un peu plus. Car si, sur la forme, la polyvalence a beaucoup d’avantages et semble être pleine de bon sens, il existe toujours des skills à maitriser mieux que d’autres. Sur ce point, nos témoins, ont tous un avis différent.
“Le point-clé pour un DRH ce sont les relations sociales et la rémunération : ce sont les éléments les plus casse-figure”, pointe Geoffrey Fournier. Un sujet poussé aussi en partie par Laetitia Guyon : “la partie communication est essentielle. Si tu communiques mal, tu peux casser une intégration, tu peux casser un recrutement, tu peux faire en sorte que des gens partent…”
“Quand on a recruté pour les managers, on est Dieu”
Pour Florence Patras, le point-clé : c’est le recrutement. Pas de débat possible. “C’est le premier truc !” clame-t-elle. “Quand je rencontre des jeunes, je leur dis que le recrutement c’est la porte d’entrée. Ça permet de connaitre l’entreprise, les postes, de se faire bien voir par les managers…” sourit-elle avant d’embrayer sur une formule divine : quand on a recruté pour les managers, on est Dieu, on peut faire tout ce qu’on veut après”.
“Il n’y a pas beaucoup de DRH polyvalents, même si je trouve ce mot un peu dégradant. Je parlerais plutôt de majeure et de mineure” tranche Philippe Vivien. “Le DRH de 70 000 personnes que j’ai été ne peut pas croire qu’il avait de l’expertise sur tout. Sinon ça devient un dogme. Je pense qu’il faut d’abord s’appuyer sur ce qu’on fait bien plutôt que d’essayer de gommer ses faiblesses. Tu peux essayer de me faire faire du ski, ça marchera pas”.
Comment éviter que la polyvalence ne se transforme en surcharge de travail ?
A vouloir être partout, il y a un risque évident d’épuisement. S’ils se sentent sous l’eau, n’est-ce pas aussi un peu de leur faute alors ? “Je pense qu’un RH doit être au courant de beaucoup de choses. C’est la difficulté et la beauté de ce travail, affirme Geoffrey Fournier. Être DRH, c’est beaucoup plus exigeant que toutes les autres fonctions support”.
“Je n’ai jamais réussi à résoudre la problématique de la frugalité de la fonction RH”, reconnait Philippe Vivien, l’ancien d’Areva. “On met trop d’énergie. Quand tu mets trop de l’énergie, tu crées de l’entropie”.
Florence Patras (Saint-Gobain) explique ne pas être pour la “superpolyvalence”. Elle explique que la source de motivation est clé dans ce boulot : “je pars du principe qu’on fait bien les choses qu’on aime bien faire. Et là, où on est moins bon, même si on met une énergie de dingue, on ne sera jamais très bon. Il vaut mieux développer ses talents et les cultiver. Plus on est bon, plus on prend du plaisir. Et dans le même temps travailler sa complémentarité”.
La polyvalence pourrait-elle être vue comme une malédiction ? “Le RH il a un petit côté saint-bernard”, s’amuse Philippe Vivien avant de pousser plus loin son propos. “Le RH est soit présent, soit absent, c’est binaire. Pour les salariés, il est absent. Or qui a besoin du RH ? Le salarié. Les RH sont super occupés mais ils ne sont pas sur le terrain”.
“J’avais une règle de base : chaque semaine, j’avais un entretien d’une heure avec un collab” rembobine-t-il. “Ça montrait à mes équipes que si je pouvais en faire, eux pouvaient le faire. À nous tous, on voyait 1500 personnes par an. Ça crée des ambassadeurs. Les RH n’ont pas compris ce point de bascule”.
Polyvalent ou expert : quel est le chemin à prendre pour les RH ?
“Travaillez vos points faibles”, demande Geoffrey Fournier. “Je donne des cours à des jeunes pros RH, et ils sont très demandeurs de toucher à tout. Ça nourrit l’esprit”, abonde Laetitia Guyon.
Florence Patras croit plutôt à la spécialisation “mais bon c’est comme à l’école, il y a un minimum à avoir tout de même”, dit-elle dans un grand sourire. De son côté, Héloïse Lutton prone pour la spécialisation : “c’est sûr que si tu cherches un DRH France, tu vas avoir besoin de plus de polyvalence. Mais **si tu cherches quelqu’un pour restructurer ta boite, là, il te faudra de la spécialisation”.**
“Le RH qui ne connait pas le prénom des gens, ce n’est pas un RH”
Finalement, c’est Philippe Vivien qui tranche encore une fois le sujet en déplacement le sujet de la polyvalence ou de l’expertise vers un autre espace : celui du terrain. “Le RH de demain, c’est le RH de terrain ! Le RH qui ne connait pas le prénom des gens, ce n’est pas un RH. Qu’il arrête de prendre le nom de RH, c’est un administrateur d’effectif”.
Et de conclure dans un sourire bienveillant : “je suis totalement solidaire, mais si on ne fait pas tout ça, on est mort. Un DRH doit être crédible. Un DRH qui n’est pas cru est cuit”. Bon appétit.