Burn-out ou grosse fatigue : le piège de la banalisation

En 2024, 300 000 à 500 000 personnes en France seraient en burn-out. Un terme de plus en plus présent dans nos conversations et notre quotidien. Mais à force d’être utilisé à tout-va, ne risquons-nous pas de le banaliser, réduisant ainsi l’attention qu’il mérite ? Alors, grosse fatigue ou véritable burn-out ? On fait le point avec Anaïs Roux, psychologue, et Didier Lechemia, médecin et conférencier spécialiste de ce phénomène.
Assise à la terrasse ensoleillée d’un café lyonnais, Émilie confie à ses amies être si fatiguée en ce moment qu’elle a du mal à se lever le matin. “Je suis à bout, je sens que je vais craquer”, souffle-t-elle, les mains crispées autour d’une tasse de thé. Camille, en face d’elle, hoche la tête. “Je comprends, j’ai traversé la même chose il y a quelques mois”, répond-elle. La scène peut sembler anodine, mais elle traduit un mal-être de plus en plus répandu. Dans les cafés, lors des pauses déjeuner ou à l’occasion de dîners entre amis, ces conversations sur l’épuisement sont de plus en plus nombreuses.
Le burn-out, autrefois un terme que l’on utilisait principalement dans les cabinets de médecins et dans les services de ressources humaines, s’est glissé dans le langage courant. En 2024, 300 000 à 500 000 personnes en France seraient concernées. Symbole des tensions d’une époque où l’injonction à l’efficacité se heurte à des aspirations personnelles exigeantes, il est aussi l’objet de nombreuses confusions.
Une banalisation du terme burn out qui sème la confusion
“Ces dernières années, on a trop banalisé le terme burn-out”, regrette Didier Lechemia, médecin et conférencier spécialiste du sujet. “Aujourd’hui, il est employé pour décrire une simple fatigue. Or, comme la fatigue est le symptôme principal du burn-out, beaucoup s'auto-diagnostiquent après quelques jours de surmenage. Dire qu’on est en burn-out à la moindre baisse de régime, c’est comme dire qu’on a une migraine pour un simple mal de tête, ou un ulcère pour une douleur passagère à l’estomac”.
Un phénomène qu’observe également Anaïs Roux, psychologue chez Teale, une plateforme dédiée à la prévention en santé mentale des salariés. Si la médiatisation croissante de termes comme burn-out, TDAH, HPI (haut potentiel intellectuel) ou anxiété, a permis de démocratiser la question de la santé mentale au travail, cette vulgarisation a aussi son revers. “Une surexposition à ces notions peut conduire à une banalisation excessive, voire à minimiser leur gravité. Cela dissuade parfois les personnes réellement affectées de consulter, par peur de ne pas être prises au sérieux. Ils se persuadent que c’est "normal", que tout le monde passe par là”, explique-t-elle.
Chez les personnes concernées, il est assez fréquent qu’une forme de doute s’installe : leur souffrance devient invisible, noyée dans un discours trop généralisé, au point qu’elles renoncent parfois à demander de l’aide. C’est pour cela que Sandrine Vialle-Lenoël, intervenante en prévention des risques psychosociaux et autrice du livre Burn out, comment le repérer et le traiter estime qu’ “il faut revenir à un diagnostic précis du burn-out et ne pas faire comme toutes les autres nominations, qui deviennent fourre-tout.”
Les symptômes qui doivent alerter
La fatigue a beau être l’un des symptômes les plus frappants du burn-out, elle n’est pas l’unique facteur. Une baisse de régime peut être causée par des facteurs émotionnels, comme une rupture amoureuse ou un deuil, ou encore par des éléments saisonniers, comme la dépression hivernale. Selon Didier Lechemia, pour distinguer une simple fatigue d’un véritable burn-out, il faut prendre en compte deux éléments essentiels : le contexte et les symptômes associés.
Le contexte de la fatigue est déterminant : “Si elle est liée à un stress prolongé sur plusieurs mois, souvent d'origine professionnelle, mais aussi dû à des dysfonctionnements organisationnels, des conflits internes ou un manque de reconnaissance, elle peut signaler l’apparition d’un burn-out.” Pour les symptômes associés, au-delà de la fatigue, des troubles émotionnels, comportementaux, motivationnels et cognitifs s’installent progressivement jusqu’à marquer une rupture nette avec l'état antérieur de la personne. Les symptômes du burn out sont ainsi divisés en cinq grandes catégories : physiques (fatigue intense, insomnie, palpitations, vertiges, céphalées, troubles digestifs, douleurs musculaires et articulaires, crampes), émotionnels (hypersensibilité, anxiété, tristesse), comportementaux (isolement, irritabilité), motivationnels (perte d’envie de travailler, dévalorisation de soi) et cognitifs (diminution de l’attention, de la concentration, de la mémoire, des fonctions exécutives).
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“Par exemple, si une personne ressent de l’anxiété dès le réveil, qu’elle ne parvient pas à récupérer malgré un week-end de repos, qu’elle peine à se concentrer en réunion et oublie des détails cruciaux qui impactent ses résultats, si parler à ses collègues ou à ses clients devient un effort surhumain, alors on peut commencer à craindre un burn-out, détaille Anaïs Roux. En revanche, si la fatigue disparaît après quelques jours de vacances, une alimentation équilibrée et un peu d'exercice, il s'agit probablement d'une grosse fatigue.”
La psychologue fait également attention à l’évolution de la posture professionnelle de ses patients. “Généralement, le burn-out engendre une dépersonnalisation marquée. Le salarié devient de plus en plus cynique et distant et négatif vis-à-vis de son travail”, explique-t-elle. Cette évolution traduit une perte de sens progressive, un désengagement profond qui, avec le temps, s’accompagne souvent d’une altération des capacités cognitives. Résultat : à la place d’être un lieu de réalisation personnelle, le travail devient un fardeau insurmontable, aggravant la souffrance du salarié déjà accablé par un épuisement physique et émotionnel.
Les risques liés à un mauvais diagnostic ou à un manque de prise en charge
Malheureusement, un mauvais diagnostic du burn-out, qu’il soit causé par un retard dans l’identification des symptômes ou par leur minimisation, représente une menace insidieuse, souvent ignorée. Et s’il n’y a pas de véritable risque à sur-diagnostiquer un burn-out, le sous-diagnostic est dangereux, puisqu’il plonge le patient dans une spirale de souffrance nourrie par le déni, la honte ou la peur du patient, qui, pris dans l’étau de son mal-être, hésite à affronter la réalité de son état.
Plus le diagnostic tarde, plus la guérison devient un chemin semé d’embûches. Les erreurs professionnelles se multiplient, l’incapacité à accomplir des tâches pourtant simples devient une épreuve. L’isolement s’intensifie. “La souffrance, d’abord à peine perceptible, se transforme en un fardeau irrémédiable. Chaque jour perdu dans cette ombre, chaque hésitation à poser un mot sur la réalité de la situation rend le rétablissement plus long, plus difficile”, constate Didier Lechemia.
Au-delà de l’épuisement, c’est l’avenir de la personne qui se trouve compromis. Le burn-out, une fois installé, laisse des cicatrices invisibles, mais durables. Un brouillard mental envahissant, une mémoire défaillante, une concentration erratique, des capacités cognitives qui se floutent peu à peu comme un horizon trop lointain. Ce retard dans l’identification et la prise en charge du burn-out n’est pas seulement une perte de temps. C’est une perte de soi, une déconnexion silencieuse à la possibilité de guérir, une illusion de contrôle qui se dissout dans le marasme d’une souffrance toujours plus vaste.